Jusqu'où on peut écrire sur quelqu'un sans son consentement ?
La
première fois que j’ai rencontré François Rioux, c’était le 29 août 2014, je
m’en souviens, car c’était le jour de mon anniversaire et le lancement de Shenley d’Alexandre Dostie.[1] J’étais
accompagné de mon « ancienne copine » et nous étions en retard.
Ça
pourrait paraître misogyne (je vous l’accorde) et inutile comme détails, mais
ça a de l’importance dans ma compréhension des sujets de créations du poète
Rioux.
Nous sommes donc arrivés à ce qui restait du lancement de Dostie et j’étais heureux d’y voir, d’une part, encore des gens et, d’autre part, François Rioux. Beaucoup moins impressionné de me voir que moi je l’étais de le rencontrer, il m’a légèrement poussé sur le côté pour aller discourir[2] avec celle qui m’accompagnait. Pas jaloux de nature, c’est tout de même seulement après la sortie de Poissons volants et sa si belle tirade[3] sur la beauté, la fatigue et l’amour que je lui ai pardonné ce geste.
Nous sommes donc arrivés à ce qui restait du lancement de Dostie et j’étais heureux d’y voir, d’une part, encore des gens et, d’autre part, François Rioux. Beaucoup moins impressionné de me voir que moi je l’étais de le rencontrer, il m’a légèrement poussé sur le côté pour aller discourir[2] avec celle qui m’accompagnait. Pas jaloux de nature, c’est tout de même seulement après la sortie de Poissons volants et sa si belle tirade[3] sur la beauté, la fatigue et l’amour que je lui ai pardonné ce geste.
Aujourd’hui,
je regrette cette jalousie que j’ai éprouvé, et je me dis que j’aurais dû
m’effacer pour qu’il et elle converser et s’inspirer l’un l’autre. Qui sait,
peut-être qu’elle est tout de même dans l’un de ses si beaux poèmes, alors que
les miens n’ont encore jamais vu le jour.
Avec
le recul, je crois que j’étais (et suis encore un peu) cette personne
emprisonnée dans ses problèmes relationnels que François Rioux illustre si bien
dans L’empire familier, son troisième
recueil :
T’es mon enfer
disait la fille sur le trottoir
elle parlait à son
chum je suppose je ne sais pas
je m’en allais
chez ma blonde
(dont je serai
l’enfer mais plus tard)
m’en allais
trouver de la douceur ses draps pleins
de la sueur des
médicaments
ses voisins qui
s’envoient chier à longueur de journée
je repense à cette
fille parfois
ses cheveux de
foin sa camisole jaune
les enfers gageons
qu’on n’en sortira pas.
Ce
recueil de Rioux me semble de loin le plus personnel de toutes ses productions.
Peut-être en raison de son style plus autobiographique, peaufiné avec ses
critiques dans la revue Estuaire[4]
ou d’une utilisation plus restreinte des références littéraires et culturelles,
il semble que l’on touche à quelque chose de plus fragile qu’auparavant :
tu attends une autre pinte en parlant
de ton livre qui va mieux que toi
la musique est bonne c’est ce qui compte
ce qui compte c’est d’avancer avancer
berçant notre infini sur le fini des rues
comme dit l’autre que tu as trop souvent
cité
Il y
a encore des références, mais ce qui suit d’un recueil à l’autre, c’est le
narrateur un peu cabotin, lançant ici et là une boutade, mais ce qui est
nouveau dans L’Empire familier, c’est
que derrière les cabrioles de langage on sent poindre le clown triste.
Au lancement de la revue en bottes d’hiver
j’ai mal aux pieds mais le vin est gratuit
j’ai mal à l’âme mais le vin est gratuit
le vin cheap va diluer la douleur
et puis je ne sors pas souvent
Quoi
que touchant, le recueil me paraît, par moments, un peu inégal quant à cette
volonté de faire réfléchir ou de faire rire le lecteur[5].
Cependant, j’avouerai que l’humour n’est pas l’émotion la plus facile à
retranscrire en poésie et parfois on tombe complètement à côté.
j’aime la peau visqueuse cette langueur c’est
comme vivre dans un hammam ou
se trouver tout entier dans un vagin qui t’aime.
De plus, on aurait un peu plus de notes de bas de page ou on aimerait les voir disséminées dans toutes les sections du recueil ou, encore mieux, rassemblées en notes de fin pour qu’elles n’entrecoupent pas la lecture des poèmes.
comme vivre dans un hammam ou
se trouver tout entier dans un vagin qui t’aime.
De plus, on aurait un peu plus de notes de bas de page ou on aimerait les voir disséminées dans toutes les sections du recueil ou, encore mieux, rassemblées en notes de fin pour qu’elles n’entrecoupent pas la lecture des poèmes.
Même
si l’utilisation de la note est un peu formelle, celles de Rioux ajoutent une
strate d’intimité et de confidences du narrateur, sans pour autant expliquer le
poème :
je veux écrire c’est bien
j’aimerais mieux être dans la chambre
couché auprès d’une femme à nous laver de
nos peines
avec la salive la sueur et dormant dans le
lit de nos eaux.
Il
est seulement dommage que cette intimité semble presque toujours tournée autour
de la sexualité d’un personnage féminin. Comme si le narrateur ne pouvait
s’empêcher, malgré toute sa tristesse et sa mélancolie, de vouloir se cacher
derrière l’image d’un « homme à femmes »[6].
Il
faut donc, quand on lit Rioux, perpétuellement se rappeler que derrière cette
mise en scène d’un poète enjôleur se cache un amoureux transi.
je sais que des femmes rêvent de moi la nuit
le jour elles pensent à autre chose
( j’ai toujours si bien su comment exister
dans l’esprit des autres)
le jour elles pensent à autre chose
( j’ai toujours si bien su comment exister
dans l’esprit des autres)
Mais
il est vrai que je ne suis pas une femme, éternel sujet des poèmes d’amour[7],
et que peut-être ai-je, moi, encore la patience de creuser un peu sous le sens
premier pour trouver une portée plus enivrante.
François
Rioux, L’empire familier, Le Quartanier,
2017, 112 p.
[1] Ou peut-être le 30, il se faisait
tard.
[2] Autant que sa bouche ramollie par
l’alcool le lui permettait.
[3] Je parle de son long poème nommé Fouillé l’écume qui clos son deuxième
recueil.
[4] Ce qui lui aura aussi permis de
peaufiner son utilisation des notes de bas de page, souvent plus imposantes que
ses critiques elle-même.
[5] J’avouerais même, dans le confort
de la note de bas de page qu’on ne lit jamais, que certains poèmes m’ont rendu
mal alaise, alors que je ne suis pourtant pas reconnu pour ma pudibonderie.
[6] Le mot «femme» revient quand même
onze fois- dont 4 rêves à lui -, sans comptés les déclinaisons. Je n’ai pas
compté dans ces précédents recueils, mais je suis prêt à parié qu’on en est pas
loin.
[7] Les meilleurs comme les pires.